avec Marthe Keller et Francesco Tristano Schlimé et Julie Nicolet.
Réalisation Daniel Künzi – 61 minutes-co.
D’abord, il y a la musique. Celle de Dietrich Buxtehude (1637-1707), considéré à son époque comme le plus grand musicien allemand. Musique jouée au piano (instrument que Buxtehude n’aura jamais connu) par un extraordinaire interprète luxembourgeois, Francesco Tristano Schlimé, né en 1981. Ce que donne à voir « Bach rencontre Buxtehude », c’est principalement cela : un jeune pianiste d’aujourd’hui qui nous interprète Buxtehude. Cela dure une heure et trois minutes. Cela nous habite et nous emporte. Cela nous transporte. Magie.\n\n \n\nEn 1705, Jean-Sébastien Bach, qui a déjà perdu son père et sa mère, a vingt ans. Il a déjà vécu à Eisenach (sa ville natale), Ohrdruf et Lüneburg, il travaille depuis deux ans comme organiste à l’église Saint-Boniface d’Arnstadt, près de Weimar. A l’automne de cette année-là, il décide de parcourir 400 kilomètres à pied pour se rendre à Lübeck, près de la mer Baltique, où réside Buxtehude. Ce voyage, ce séjour, nous sont connus par les Mémoires d’Anna Margareta, la fille de Buxtehude, qui voit débarquer chez elle, un beau jour, ce solide marcheur « plus affamé de musique que de pain ». Les trois mois que Bach passera auprès du maître influenceront autant le vieux musicien, pour les deux années qui lui resteront à vivre, que le futur Cantor de Leipzig. Au point qu’à son retour (également à pied !) à Arnstadt, Jean-Sébastien se fera sonner les cloches par ses paroissiens, qui ne reconnaissent plus sa manière de jouer.
Comme le disait Godard à propos des fondateurs du cinéma : ils auraient pu s’appeler « Abat-jour », ils se nommaient Lumière. Le plus grand génie de la musique aurait pu être baptisé Stein (pierre), il se dénommait Bach (ruisseau ).
Le musicien dont il est question ici, Francesco Tristano Schlimé, est né en 1991. Il aurait pu avoir un nom de famille plus approprié ( Schlim se traduit par «pire» en français). Pour son premier disque chez Universal, il a préféré y renoncer. Pourtant c’est sous ce nom là qu’il a publié plus de vingt CD, autant en classique – de Frescobaldi à Nono – qu’en Electro. Car Francesco Tristano s’est fait aussi un nom dans les discothèques d’Ibiza et d’ailleurs !
Avec ce disque, vous écouterez un piano, comme vous ne l’avez jamais entendu «sonner». Etait-ce bien nécessaire pour la musique de Bach ? A vous de juger ! Le ton est donné dès le prélude de la première Partita de Jean Sébastien Bach. Ce n’est pas toujours «charmant», mais c’est toujours intéressant. Jamais les lignes mélodiques ne se sont développées avec une telle clarté. Une Partita réinventée, l’une des rares œuvres éditées par le maître de l’Art de la fugue. Les basses sont «charnues», précises sans être lourdes, les aigus lumineux ! Un enregistrement aux antipodes des prises de son habituelles de la Deutsche Gramophone Gesellschaft. Pour appuyer sa rhétorique, Francesco Tristano joue des trilles liquides, fluides : un poète qui cherche à nous dire quelque chose. La Gigue qui conclut l’uvre vous électrisera !
John Cage ( 1912-1992 ), s’est notamment illustré pour ses recherches sur les sonorités. Francesco Tristano et son producteur Moritz von Ostwald ont prolongé les expériences de ce compositeur d’avant-garde, en travaillant les sons du piano lors de la post-production. C’est ainsi que la tranquille composition minimaliste In a landscape se métamorphose au gré des interventions des ingénieurs du son. Le timbre du piano se mue progressivement en cloches mystérieuses. Le chant musical s’ouvre aux champs des possibles. \n\nUn parcours musical, une aventure à partager, et un gag à savourer à la fin de l’album, un Menuet de Bach que n’aurait pas renié Walter Carlos, l’arrangeur de la musique du film Orange mécanique.
Daniel Kunzi
Bach-Cage, Francesco Tristano, Universal music 2011
CONCERT ARTE
http://liveweb.arte.tv/fr/video/Versus_2_0___Carl_Craig__Francesco_Tristano___Moritz_Von_Oswald/