Intervention à la Conférence de l’Académie de la radio et de la TV (Moscou) à Chypre en 2011 – Original en anglais en fin d’article
Cyberterrorisme, réalité et fiction
D’une part, les militaires disent qu’il ne faut pas confondre le son d’un tambour avec celui d’un canon, d’autre part, ceux qui ont lu Clausewitz n’oublieront pas sa remarque : les stratégies sont toujours en retard d’une guerre.
Tout au long de mon travail cinématographique, je me suis penché sur la Première Guerre mondiale, la guerre civile espagnole, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine, puis celle d’Algérie, etc. En réalisant des interviews avec des témoins de ces périodes, j’ai pu me faire une idée précise de ce que l’on appelle la » terreur « . Voici un exemple tiré de mon prochain film qui traite des mercenaires suisses de la Légion étrangère française, engagés pour faire le » sale boulot « .
Extrait : Témoignage de Schupbach
1) C’est nous qui avons fait le massacre avec le FLN. Ils ont eu énormément de morts. Nous avons aussi fait un massacre.
Extrait : Témoignage de Werner Beutler :
2) On les entendait. « La Légion, sortons d’ici. » Ils savaient que nous étions durs. Nous faisions rarement des prisonniers. Certains ont levé les bras : « Vive de Gaulle, vive la France ». « Nous avons appuyé sur la gâchette. C’était fini.
Extrait : Témoignage de Schupbach
3) Il était très rare qu’un Arabe parle. On pouvait les torturer comme on voulait. Par exemple, pour la torture du bain, il y avait un grand type. Ils lui plongeaient la tête dans l’eau et comptaient un…deux-trois…quatre…cinq, puis ils lui sortaient la tête de l’eau. La fois suivante, ils ont compté jusqu’à dix. La fois suivante, ils comptaient jusqu’à 30 secondes, puis jusqu’à une minute. Pour moi, c’était du pur sadisme.
La terreur était partout en Algérie. Au cours de ce conflit, entre 1954 et 1962, un quart de million d’Algériens ont perdu la vie alors que les Français en ont perdu dix fois moins. Ces témoignages nous permettent de comprendre ce qu’est la terreur, au même titre que le tableau Guernica de Pablo Picasso ou la musique d’Arnold Schoenberg. Un survivant de Varsovie. Il est important de ne pas confondre la peur et la terreur.
Nous sommes proches de la Grèce, une civilisation qui a donné naissance et nourri notre philosophie. Je pense qu’il serait utile de revenir à Platon et au célèbre dialogue entre Socrate et Ménon. Cela peut nous aider à ne pas nous égarer lorsque nous parlons de cyberterrorisme. Car le problème est de bien comprendre le sens de ce mot.
Dans son dialogue avec Ménon, Socrate pose une question essentielle : comment faire de la recherche sur un objet quand on ne sait pas ce que c’est ? C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Ménon et la conclusion finale de ce paradoxe est la suivante : comment pouvons-nous savoir quand notre recherche est terminée alors qu’au départ nous ne savons pas ce que nous cherchons exactement ?
Si ma compréhension du sens du mot » cyber » et du sens du mot » terrorisme » est correcte, alors je dois admettre que leur connexion me crée de nombreuses difficultés. Au cours des dix dernières années, le mot » terrorisme » a été adapté à tout type de situation. Au point qu’un leader palestinien immanent, Yasser Arafat, qualifié dans le passé de terroriste par les Etats-Unis et par Israël, reçoit le Prix Nobel de la Paix. Au même titre que Menahem Begin, qui a organisé l’attaque terroriste contre l’hôtel King David en Palestine.
J’ai essayé de trouver une définition convaincante du cyberterrorisme, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Vous pourrez certainement m’aider. Par exemple, on entend souvent parler d’attaques sur Internet. Mais à mon avis, il s’agit d’une malveillance, d’une variante de la guerre de l’information, de » l’intox » qui apparaît lors de toute guerre. Mais nous sommes très loin des conséquences dévastatrices du bombardement par l’OTAN de la télévision libyenne ou du bombardement de la télévision serbe. J’ai visité son bâtiment à Belgrade il y a quelques années. Il était encore détruit, un monument à la mémoire des 16 victimes du bombardement.
Poursuivant mes recherches, j’ai essayé de savoir s’il y avait déjà eu des cyberattaques terroristes qui avaient fait autant de victimes que dans les témoignages cités plus haut. Je n’ai pas cherché à savoir s’il y avait eu des cas de torture, de massacre, etc. Je n’en ai trouvé aucune. Cela n’exclut pas que demain un groupe de terroristes, avec l’aide d’un » hacker » puisse prendre le contrôle d’un réacteur nucléaire ou disons de missiles nucléaires afin de les diriger vers des villes qui ont été ciblées.
Dans ce cas, il existe des moyens de prévenir une telle attaque. Les moyens existent et ils sont là. En fait, l’illégalité de la bombe nucléaire ne fait aucun doute. La Convention de La Haye de 1907 (articles 25 et 27, complétés par l’article 24 de la Convention de 1923) interdit les bombardements aveugles de populations civiles. Il existe de nombreuses autres résolutions du même type, comme le caractère criminel de l’utilisation de la bombe nucléaire (résolution 1653 XVI de l’ONU du 24 novembre 1961).
La conclusion est évidente. Ce ne sont pas quelques cyber-terroristes potentiels qui posent problème. Le vrai problème vient d’un monde qui s’est développé au mépris de l’humanité et du respect des normes juridiques internationales, des moyens qui permettent d’imaginer la terreur à une échelle apocalyptique.
Daniel Künzi
Genève/Chypre octobre 2011
TEXTE ORIGINAL EN ANGLAIS
Cyber terrorism, reality and fiction
On one hand, the military says that one must not mistake the sound of a drum for that of a canon, on the other hand, those who have read Clausewitz won’t forget his remark: strategies are always one behind on a war.
Throughout my film work, I have looked into the First World War, the Spanish Civil War, the Second World War, the war in Indochina, then the one in Algeria, etc. Having directed interviews with eyewitnesses of these periods, I have been able to develop my own precise idea about the thing that is called « terror ». Here is an example taken from my next film that deals with Swiss mercenaries fighting in the French Foreign Legion, hired to do the « dirty work »
Extract: Schupbach’s testimony
1) We were the ones that did the massacre with the FLN. They had an enormous number of dead. We had a massacre as well.
Extract: Werner Beutler’s testimony:
2) We could hear them. “The Legion, let’s get out of here.“ They knew we were hard. We rarely took any prisoners. Some of them lifted up their arms “Vive de Gaulle, vive la France. “ We pulled the trigger. That was the end of it.
Extract: Schupbach’s testimony
3) It was very rare for an Arab to talk. You could torture them any way you wanted. For example the bath torture there was a big guy. They dunked his head in the water and counted one…twothree..four..five and then they lifted his head out of the water. The next time they counted until ten. The time after it was 30 seconds, then one minute. For me this was pure sadism.
Terror was everywhere in Algeria. During this conflict between 1954 and 1962, a quarter of a million Algerian lost their lives while the French lost ten times less. These eyewitness testimonies allow us to understand what terror is, in the same way as Pablo Picasso’ painting Guernica or Arnold Schoenberg’s music. A survivor from Warsaw. It is important not to confuse fear with terror.
We are close to Greece, a civilization that gave birth and nourished our philosophy. I think it would be useful to return to Plato and to the famous dialogue between Socrates and Meno. This can help us from getting lost when we speak about cyber terrorism. For the problem is to truly understand the meaning of this word.
In his dialogue with Meno, Socrates asks an essential question : how can we do research on an object when we don’t know what it is ? This is what is called Meno’s paradox and the final conclusion of this paradox is this: how can we know when our research is over when at the beginning we don’t know what exactly we are looking for?
If my understanding of the meaning of the word « cyber » as well as the meaning of the word « terrorism » is correct, then I must admit that their connection creates many difficulties for me. In the last ten years, the word « terrorism » has been adapted to any type of situation. To the point that an immanent Palestinian leader, Yasser Arafat, qualified in the past as a terrorist by the United States and by Israel, receives the Nobel Peace Prize. In the same way as Menahem Begin, who organized the terrorist attack on the King David Hotel in Palestine.
I have tried to find a convincing definition of cyber terrorism, but I have yet to find one. Certainly you will be able to help me out. For example, one often hears about attacks on Internet. But in my opinion, this is a case of malicious intent, a variant of the war on information, « intox » that appears during any war. But we are very far away from the devastating consequences of NATO’s bombing of Libyan television or the bombing of Serbian TV. I visited it’s building in Belgrade a few years ago. It was still destroyed, a monument to the 16 victims of the bombing.
Continuing my research, I tried to learn if there had previously been cyber terrorist attacks that had made as many victims as seen in the testimonies quoted above. : torture, massacre, etc. I found none. That does not exclude the possibility that tomorrow a group of terrorists, with the help of a « hacker » could take control of a nuclear reactor or say nuclear missiles in order to direct them towards cities that have been targeted.
In such a case, there is ways to prevent such an attack. The means exist and they are right there. In fact there is no doubt about the illegality of the nuclear bomb. The 1907 Hague Convention (articles 25 and 27, completed by article 24 of the 1923 Convention) forbids indiscriminate bombings of civilian populations. There are many other resolutions of the same kind, such as the criminal nature of the use of the nuclear bomb (the UN resolution 1653 XVI of Nov.24th 1961).
The conclusion is obvious. It is not a few potential cyber terrorists who are the problem. The real problem stems from a world that has been developed with total disregard for humanity as well as the respect for international legal norms, means that allow terror to be imagined on an apocalyptic scale.
Daniel Künzi
Geneva/Cyprus october 2011